Elles semblent posées là depuis des siècles, épousant la vague forme d’un petit navire antique qui se serait échoué devant la Calanque de Niolon, juste pour faire plaisir aux plongeurs amateurs venus s’y balader. Pourtant, les amphores antiques qui ont récemment occupé la petite équipe de plongeurs de la fondation Octopus ont été disposées ici en 2010 seulement. Elles n’auront passé qu’un demi siècle de leur existence sur terre avant d’être renvoyées sous l’eau.

Ces amphores ont été extraites entre 1952 et 1957 dans la baie de Marseille, près du récif du Grand Congloué sur le premier chantier de fouilles archéologiques sous-marines dans les eaux françaises. Sur le pont, deux capitaines se partageaient la direction des opérations. Il y avait d’abord le commandant Jacques-Yves Cousteau qui, quand il ne plongeait pas, suivait les fouilles depuis la surface grâce à la première caméra étanche accompagnant les plongeurs. A ces côtés, se tenait Fernand Benoît en charge de la direction scientifique du chantier. «A cette époque les archéologues ne plongeaient pas encore», rappelle Marine Jaouen, chercheuse au Département des recherches archéologiques subaquatiques et sous-marines (DRASSM).

Au cours des cinq années de recherche sur le site du Grand Congloué, Cousteau et son équipe vont effectuer plus de 1250 plongées et remonter environ 7000 amphores ! Ces dernières ont été  classées en deux lots différents. On trouve des amphores grecques qui venaient peut-être d’Italie du Sud et qui dateraient du IIIe et du IIe siècle avant notre ère. Les autres pièces seraient un peu plus récentes. L’archéologue Fernand Benoît expliquait ce fait par la présence de deux navires différents qui auraient sombré au même endroit. Quelques décennies plus tard, l’archéologue sous-marin Luc Long retournera explorer les lieux et confirmera cette hypothèse.

Que sont devenus les vestiges remontés par Cousteau et son équipe ? «Après avoir été identifiées et répertoriées, les plus belles pièces ont intégré les collections de musées à Marseille et dans d’autres villes», explique Marine Jaouen. Mais le DRASSM s’est retrouvé avec une quantité non négligeable d’amphores moins bien conservées ou abîmées.  «Quand nous avons déplacé nos locaux en 2009, nous nous sommes demandés ce que nous allions faire de ces amphores. Leur stockage et leur entretien coûtaient cher.  Du côté de l’UNESCO, on commençait à insister sur l’importance de la mise en valeur du patrimoine sous-marin. Certains clubs de plongée se sont également montrés intéressés. C’est ce qui a motivé la réimmersion de certaines de ces amphores sur deux sites distincts.»

Le choix se porte notamment sur la Calanque de Niolon pour des raisons évidentes argumente Marine Jaouen: «Le site de plongée de l’UCPA (l’Union nationale des centres sportifs en plein air, ndlrsurplombe la calanque. L’immersion peut se faire dans la baie, sur du sable à une profondeur de 12 mètres environ. Cela permet à des plongeurs débutants ou même à des apnéistes de visiter le site».

Et le succès est au rendez-vous. Les clubs de plongée et les médias spécialisés assurent une bonne publicité à cette action. Si les amoureux de vestiges archéologiques sont les premiers à se manifester, ils ne sont pas les seuls à s’intéresser à cette installation:  «Des biologistes marins suivent avec attention ce dispositif afin d’observer comment et à quelle vitesse la vie marine se réinstalle sur le champ d’amphores», note Marine Jaouen.

De leur côté, les plongeurs de la Fondation Octopus ne se sont pas rendus à la Calanque de Niolon pour y faire du tourisme sous-marin. Comme le rappelle Julien Pfyffer, directeur de la fondation, l’objectif est double: «Il s’agit d’abord de se former au travail en équipe sous l’eau. Modéliser un fond marin ne va pas de soi. C’est pourquoi nous avons défini des procédures et une méthode. Les amphores de la Calanque de Niolon se prêtent parfaitement à un exercice in situ». Mais le but de la Fondation Octopus est également de permettre au grand public d’effectuer cette plongée en restant au sec, sans endosser de scaphandre. «La modélisation de ce champ d’amphores est motivée par l’idée de pouvoir montrer à tout le monde des éléments qui ne sont pas directement accessibles. On réfléchit à l’élaboration d’espaces muséographiques d’un nouveau genre», s’enthousiasme Julien Pfyffer. Pari réussi ? A vous de juger.